Le terme " ciment " est issu du latin coementum
qui signifie mortier, liant des maçonneries. Ce sens étymologique a
donc été à peu près conservé ; il s’est toutefois restreint aux seuls
liants dits hydrauliques – parce qu’ils sont capables de durcir sous
l’eau –, dont le durcissement est dû aux réactions chimiques
d’hydratation des silicates et des aluminates de chaux.
Le
ciment est généralement fabriqué en cuisant vers 1 450 0C des mélanges
de calcaire et d’argile. On obtient alors des nodules durs, appelés
clinkers ; c’est en broyant très finement ceux-ci, additionnés d’un peu
de gypse, qu’on produit le ciment Portland. D’autres types peuvent être
obtenus en mélangeant ce clinker broyé avec des constituants, broyés
également, qui présentent des propriétés hydrauliques ou
pouzzolaniques : ce sont soit des laitiers de hauts fourneaux granulés,
soit des cendres volantes ou encore des pouzzolanes, naturelles ou
artificielles.
Il
existe, en outre, des ciments spéciaux, tels les alumineux ou les
sursulfatés. La principale utilisation du ciment est le béton, dont il
est le composant actif, mais il entre aussi dans la composition des
mortiers pour maçonneries ou pour enduits.
Dans
la préhistoire et au début de l’Antiquité, les maçonneries étaient soit
liées à l’argile, soit réalisées sans liant, comme les murs pélasgiques
de Grèce ou les murs Incas. À Babylone, les maçonneries de briques
étaient liées au bitume. Les Égyptiens utilisèrent pour les pyramides,
notamment, un plâtre grossier produit par cuisson d’un gypse (sulfate de
calcium) impur. Les Grecs furent parmi les premiers constructeurs
employant la chaux obtenue par cuisson du calcaire (carbonate de chaux).
Les Romains se servirent beaucoup de la chaux dans leurs constructions,
mais améliorèrent ce liant dès le Ier siècle avant J.-C., en
l’additionnant de pouzzolane soit naturelle comme les cendres
volcaniques actives, soit artificielles comme les briques pilées. Ils
obtinrent ainsi un liant hydraulique, appelé ciment romain, qui est en
fait intermédiaire entre une chaux et un véritable ciment. Celui-ci
permit de construire de grands ouvrages hydrauliques, tel le pont du
Gard, ou maritimes tels les ports.
Aucun
progrès ne fut accompli sur les liants pendant le Moyen Âge, dont les
principales constructions – cathédrales, châteaux... – doivent leur
réussite surtout aux progrès réalisés dans l’art de tailler et
d’assembler les pierres.
C’est
seulement au XVIIIe siècle, les procédés de cuisson s’améliorant, que
des chaux hydrauliques, intermédiaires entre les chaux et les ciments,
furent produites. En 1756, l’Anglais Smeaton, en mélangeant celles-ci
avec des pouzzolanes, obtint un mortier aussi dur que la pierre de
Portland. Cette élaboration fut reprise par ses successeurs. Ainsi fut
introduite progressivement dans le langage l’appellation de ciment
Portland.
En
1817, le Français Louis Vicat, étudiant scientifiquement et non plus
empiriquement, comme ses prédécesseurs, les chaux hydrauliques,
découvrit les principes chimiques des ciments et définit leurs règles de
fabrication. Aussi en est-il considéré comme l’inventeur.
En
1824, l’Anglais Aspdin prit un brevet pour la fabrication d’un ciment
de Portland, mais celui-là comportait encore beaucoup de points obscurs.
C’est seulement en 1845 que l’Anglais Johnson indiqua de façon précise
les règles de fabrication de ce produit. À la fin du XIXe siècle, en
France, Le Chatelier étudia la composition chimique des divers
constituants des ciments ; son œuvre fut perfectionnée et achevée par
l’Américain Bogue au XXe siècle.
En
1890, on comprit l’intérêt du laitier granulé ajouté au ciment, et,
après 1945, celui des cendres volantes. Les ciments spéciaux sont
d’invention plus récente : le ciment alumineux fut découvert par Bied,
en 1908.
Le constituant principal des ciments industriels actuels est le clinker, mot anglais signifiant " scorie ".
Le
clinker est obtenu en cuisant, vers 1 450 0C, des mélanges appropriés
de calcaire et d’argile, appelés crus. L’argile, principalement composée
de silicates d’alumine, se scinde sous l’effet de la chaleur en ses
constituants, silice et alumine, qui se combinent ensuite à la chaux
provenant du calcaire pour donner des silicates et des aluminates de
chaux.
La
fabrication du ciment comporte tout d’abord une extraction du calcaire
et de l’argile dans de grandes carrières, bien équipées mécaniquement.
Des problèmes délicats sont parfois posés par les carrières peu
homogènes ; dans les cimenteries modernes, ils sont résolus par la pré
homogénéisation. Cette opération s’effectue dans de vastes hangars où le
cru est rationnellement analysé et mélangé. Ce dernier est ensuite
broyé très finement, les réactions chimiques qui se développent dans la
zone de " clinkérisation " ne pouvant avoir lieu que pour des grains de
quelques micromètres de grosseur. Le cimentier peut alors choisir entre
quatre voies : humide, semi-humide, semi-sèche et sèche, voie la plus
employée aujourd’hui.
Dans
la voie humide, le cru est broyé et malaxé avec suffisamment d’eau (de
30 à 40 p. 100) pour constituer une pâte liquide. Ce procédé est simple
et sûr, mais consomme beaucoup de combustible pour évaporer l’eau
excédentaire ; c’est pourquoi on lui préfère, la fabrication par voie
sèche. Le malaxage s’effectue mécaniquement dans de très grandes cuves
cylindriques en béton, où le cru peut être corrigé chimiquement par des
additions appropriées de calcaire ou d’argile et où une homogénéisation
finale est assurée.
La voie semi-humide commence comme la précédente, puis le cru est débarrassé d’une partie de son eau dans des filtres-presses.
Dans
la voie sèche, le cru est séché s’il y a lieu, puis broyé très finement
après avoir été homogénéisé et, éventuellement, corrigé chimiquement
dans de grands silos équipés pour un malaxage pneumatique ; il est
introduit sous forme pulvérulente dans le four (figure). Dans la voie
semi-sèche, il ne l’est qu’après avoir été aggloméré, sous forme de
boulettes, dans de grands granulateurs.
On
utilisait autrefois des fours droits dérivés des fours à chaux ; il en
subsiste quelques-uns qui emploient la voie semi-sèche. Les fours
modernes sont généralement tournants, constitués par de grands cylindres
métalliques, tapissés intérieurement de réfractaires, ayant quelques
mètres de diamètre et atteignant plus de 100 mètres de longueur. Ils
sont légèrement inclinés et tournent lentement, de façon à faire
progresser le cru introduit dans la partie haute. Une flamme alimentée
au charbon pulvérisé, au fuel ou au gaz est allumée à l’autre extrémité
du four. C’est à celle-ci qu’est recueilli le clinker, sous forme de
nodules incandescents.
De
profondes modifications chimiques des constituants du cru se produisent
au fur et à mesure que la matière progresse dans le four. Le
ferro-aluminate tétracalcique apparaît le premier, avec une consistance
pâteuse ou liquide ; lorsque le fer est épuisé par cette réaction, il se
forme de l’aluminate tricalcique fondu. Ces deux corps fondus
constituent le liquide des fours à ciment. Celui-ci dissout la silice et
la chaux qui se combinent alors et cristallisent sous forme de
silicates de chaux ; ce phénomène progressif constitue la
" clinkérisation ". Si la silice et la chaux existaient seules dans le
cru, il faudrait chauffer bien davantage, au-dessus de la température de
fusion de la silice (1 900 0C), pour obtenir la formation de silicates
de chaux.
Des
échangeurs de chaleur tant à l’amont qu’à l’aval du four permettent
d’améliorer le bilan thermique de l’opération. Récemment, le processus
de cuisson a été perfectionné par un apport de combustible, en amont du
four rotatif. Ce procédé, dit de précalcination, permet de préchauffer
la matière jusqu’à 800 0C et d’assurer une décarbonatation poussée,
d’environ 85 p. 100. On peut ainsi réduire la taille des usines ou
augmenter la production. Parallèlement, se poursuivent l’effort de
réduction de la consommation de combustible et la conversion aux
combustibles non pétroliers, tels le charbon ou les déchets de nature
diverse. De puissants dépoussiéreurs électrostatiques, mis au point
depuis quelques années, sont généralement installés à la base des
cheminées d’évacuation des gaz, tandis que d’autres sont édifiés aux
points critiques de l’usine ; l’industrie cimentière est maintenant
devenue une industrie non polluante.
Le
clinker immergé n’est que très lentement attaqué par l’eau : la
profondeur d’attaque est de l’ordre de 5 à 10 micromètres la première
année et la vitesse de propagation de cette attaque diminue rapidement.
Cela permet de stocker le clinker longtemps, même à l’air libre. Il faut
que ce clinker soit broyé très finement pour obtenir un ciment actif.
Ce
broyage s’effectue dans des broyeurs à boulets, grands cylindres
métalliques horizontaux, animés d’un mouvement de rotation autour de
leur axe, et à moitié remplis de boulets d’acier.
Le
clinker est introduit à l’une des extrémités avec un peu de gypse (de 3
à 5 p. 100), et l’on recueille le ciment, moulu par le choc des
boulets, à l’autre extrémité. On distingue les broyeurs à circuit
ouvert, dans lesquels le clinker n’effectue qu’un passage, et ceux à
circuit fermé, dans lesquels le produit moulu est envoyé à la sortie
dans un cyclone qui en sépare les éléments fins. Ceux-ci, qui
constituent le ciment, sont envoyés au silo de stockage ; les autres
éléments sont renvoyés à l’entrée du broyeur et recyclés.
La
finesse de broyage du ciment est mesurée par sa surface spécifique,
c’est-à-dire la somme des surfaces des grains contenus dans l’unité de
masse. Elle est voisine de 3 200 cm2/g pour les ciments courants
français ; elle atteint 3 700 cm2/g pour leurs équivalents américains.
La
résistance des ciments hydratés, généralement exprimée par la
résistance à la compression simple, est fortement influencée, surtout
dans les premiers jours, par leur finesse. Mais les grandes finesses
présentent des inconvénients : le retrait après la prise est augmenté et
le dégagement de chaleur est accentué dans les premiers jours.
L’addition
de gypse au clinker a pour but de régulariser la prise du ciment,
notamment de ceux qui contiennent des proportions importantes
d’aluminate tricalcique. Grâce à ce gypse, la prise du ciment,
c’est-à-dire le début de son durcissement, s’effectue au plut tôt une
demi-heure après le début de l’hydratation. Sans gypse, la prise serait
irrégulière et pourrait intervenir trop rapidement.
Le
mécanisme de durcissement du ciment est très différent de celui de la
chaux. Le ciment durcit par hydratation des silicates et des aluminates
de chaux, alors que la chaux durcit lentement à l’air en se carbonatant.
La
chaux est obtenue par cuisson du calcaire, CO3Ca, qui, vers 400 0C,
perd son gaz carbonique et se transforme en chaux vive, CaO. Celle-ci
doit d’abord être éteinte avec de l’eau, ce qui la transforme en chaux
hydratée, Ca(OH)2. Cette dernière réabsorbe alors lentement le gaz
carbonique de l’air et reconstitue progressivement un calcaire tendre.
Le
ciment Portland contient quatre constituants principaux : le silicate
tricalcique 3 CaO. SiO2 ou, par abréviation, C3S ; le silicate
bicalcique 2 CaO. SiO2 ou C2S ; l’aluminate tricalcique 3 CaO. Al2O3 ou
C3A ; le ferro-aluminate tétracalcique 4 CaO. Al2O3. Fe2O3 ou C4AF.
L’élément
noble du ciment est le silicate tricalcique, qui lui donne ses fortes
résistances. La proportion de silicate tricalcique dans le ciment
Portland, qui était de 50 p. 100 avant guerre, s’est progressivement
accrue jusqu’à 60 p. 100, et atteint même actuellement 70 p. 100 dans
certains ciments très résistants.
Par
hydratation, les silicates tri- et bicalciques donnent du silicate
monocalcique hydraté et dégagent de la chaux libre hydratée. Ce sont les
cristaux de silicate monocalcique hydraté qui, en se fixant entre eux
et aux granulats, confèrent au ciment sa résistance.
L’aluminate
tricalcique donne, par hydratation, de l’aluminate monocalcique hydraté
et dégage de la chaux libre hydratée. C’est aussi un élément actif de
la résistance des ciments ; il contribue notamment beaucoup, par la
rapidité relative de sa réaction, aux résistances dans les premiers
temps. C’est également la première cristallisation du trisulfo-aluminate
(ou ettringite) produite par l’hydratation de C3A en présence de gypse,
ainsi que des réactions physico-chimiques complexes qui sont à
l’origine du raidissement de la pâte de ciment : ce qu’on appelle la
prise du ciment (entre 1 h 30 et 6 h après le malaxage). L’hydratation
de C3A a, en revanche, l’inconvénient de dégager beaucoup de chaleur, et
celui de favoriser sa combinaison avec les sulfates pour donner du
sulfo-aluminate tricalcique ou sel de Candlot, dont la formation très
expansive provoque la dégradation des bétons durcis. C’est là
l’explication de l’attaque des bétons par l’eau de mer ou par les eaux
séléniteuses, c’est-à-dire contenant du sulfate de calcium. Aussi, les
ciments résistant à l’eau de mer sont-ils des ciments à faible teneur en
aluminate de chaux.
Quant
au ferro-aluminate tétracalcique, il s’hydrate, mais ne joue aucun rôle
dans le durcissement du ciment. Le développement de ces réactions
chimiques, qui vont se poursuivre durant plusieurs mois, assure le
durcissement de la pâte de ciment et lui confère sa résistance
mécanique.